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Le schiste, roi du pétrole

LE MONDE |  le 03.01.2015  | Par Sylvie Kauffmann 

Barack Obama donne peu d’interviews et finalement, on comprend pourquoi. D’une nature prudente, le président américain se méfie de ce qu’il peut être amené à confier dans un face-à-face prolongé avec un journaliste. De fait, volontairement ou non, sa dernière interview à la radio publique […]

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LE MONDE |  le | Par Sylvie Kauffmann 

Barack Obama donne peu d’interviews et finalement, on comprend pourquoi. D’une nature prudente, le président américain se méfie de ce qu’il peut être amené à confier dans un face-à-face prolongé avec un journaliste. De fait, volontairement ou non, sa dernière interview à la radio publique américaine NPR, diffusée le 29 décembre 2014, recèle une pépite géopolitique de première valeur.

M. Obama y vante le concept de « patience stratégique » en politique étrangère qui, souligne-t-il, a payé dans la relation avec la Russie. On a surtout retenu de ces propos la dégradation de la notation du président Poutine, gentiment rabaissé du statut de « génie » à celui de « pas si malin ». Mais le plus intéressant arrive après. Notant que les sanctions occidentales ont entraîné une fuite des capitaux de Russie et la contraction de l’économie, le président américain explique : « Une partie de notre raisonnement dans ce processus était que la seule chose qui maintenait l’économie [russe] à flot, c’était le prix du pétrole. » Début 2014, il était élevé. Et donc, « avec le temps », les sanctions « rendraient l’économie russe suffisamment vulnérable pour que si, et quand le prix du pétrole viendrait à être perturbé ce qui allait inévitablement se produire, sinon cette année, au moins l’an prochain ou l’année d’après alors ils [les Russes] auraient d’énormes difficultés à le gérer ».

Gaz et pétrole de schiste ont doté les états-unis d’une arme stratégique supplémentaire

Autrement dit, le calcul américain consistait à parier sur la baisse des prix du brut pour faire plier le Kremlin, déjà étranglé par les sanctions. Et ce pari n’était pas hasardeux, puisque les États-Unis eux-mêmes, ayant augmenté leur production de pétrole de 80 % en six ans, sont en grande partie à l’origine de la chute des prix. En lançant la révolution du gaz et du pétrole de schiste, qui a réussi au-delà de leurs espérances, les Américains ont fait d’une pierre deux coups : elle leur a permis de relancer leur économie et a enrichi leur panoplie stratégique d’une arme supplémentaire. S’agissant de M. Poutine, le pari n’est pas gagné puisque bien qu’à la tête d’un pays affaibli, il n’a pas, pour l’instant, cédé à la pression. Mais la vulnérabilité de l’économie russe est incontestable.

Un essor prodigieux

Elle l’est d’autant plus que le marché du pétrole a structurellement changé en 2014 et que M. Poutine attend de voir dans quel sens il se stabilise pour savoir s’il pourra y survivre. Lorsqu’il promet à ses concitoyens deux ans de sueur et de larmes, sous-entendant que tout ira mieux après, il n’en sait, en réalité, rien du tout. Pas plus que Daniel Yergin, l’un des experts mondiaux de l’énergie, pour lequel « le spectacle est loin d’être fini ». Car le bouleversement ne vient pas seulement de la baisse de 49 % des prix du baril de brent en six mois, entre juin et fin décembre 2014 – la plus forte chute depuis la crise financière de 2008. Il vient aussi de la nouvelle répartition de la production mondiale, due à l’essor prodigieux de l’extraction du pétrole de schiste américain. Les États-Unis ont détrôné l’Arabie saoudite comme premier producteur mondial d’hydrocarbures et s’apprêtent à augmenter leurs exportations. Aujourd’hui, les rois du pétrole, ce sont eux.

Autre bouleversement : face à ses collègues de l’OPEP à Vienne fin novembre 2014, le ministre saoudien du pétrole, Ali Al-Naimi, a refusé de réduire la production pour faire remonter les prix. Dans les années 1980, les pays du Golfe avaient réagi à la concurrence du pétrole de la mer du Nord en baissant leur production. Échec sur toute la ligne, prix et parts de marché. Les cheikhs ont juré qu’on ne les y reprendrait plus. Ils abordent 2015 arc-boutés sur leurs parts de marché face au schiste, « quel que soit le prix », a promis le ministre Al-Naimi.

Prolonger le supplice

Faut-il voir là une guerre « cheikhs contre schiste »? La sacro-sainte relation américano-saoudienne, c’est vrai, n’est plus ce qu’elle était. Les attentats du 11-Septembre, les hésitations de Barack Obama sur la Syrie, ses négociations secrètes avec l’Iran chiite, grand rival du royaume sunnite, tout cela n’a guère plu à Ryad. Les cheikhs, assis sur leurs très confortables réserves, attendraient donc tout simplement que les prix baissent jusqu’au point où les producteurs américains y laisseront leur chemise, car l’extraction du pétrole de schiste revient plus cher que celle du brut conventionnel.

Ce scénario est possible – comme dit le dicton, « This is the Middle East, my friend ». Mais les Saoudiens, qui n’ont pas vu venir le boom du schiste, sous-estiment la capacité d’innovation technologique des Américains pour en faire baisser les coûts d’exploitation. Il est une autre hypothèse, que ne contredira pas le dicton : l’Arabie saoudite, trop heureuse de voir l’Iran, l’Irak et la Russie à la peine, souhaite prolonger le supplice encore un peu. Car moins les caisses de Téhéran et de Moscou se remplissent, plus il sera difficile à ces deux régimes de continuer à aider Bachar Al-Assad en Syrie.

Voilà donc quelques exemples de la manière dont le prix du pétrole peut changer la donne géopolitique, confirmant au passage qu’à part en Chine, les régimes autoritaires sont d’assez mauvais gestionnaires : ni le Venezuela ni la Russie n’ont su diversifier leur économie. Mais il y a d’autres répercussions possibles : les régimes du Golfe pourront-ils continuer à acheter la paix sociale et la stabilité politique chez eux ? A soutenir des pays tiers ? Comment va se traduire le bénéfice du pétrole bon marché pour les gros pays consommateurs, au premier rang desquels la Chine ? Les pays producteurs d’Afrique vont-ils pouvoir encaisser le choc ? La baisse des prix va-t-elle entraîner une hausse de la croissance en Europe ? La seule certitude, finalement, est celle de Daniel Yergin : le spectacle ne fait que commencer.

 

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