Au titre du collectif citoyen et républicain « Bienvenue en Normandie » nous avons pu participer, le mardi 6 décembre 2016 de 18heures à 21heures dans l’ancienne salle de réunion du conseil régional de l’ex Basse Normandie à l’abbaye aux Dames à Caen, au premier atelier « Normandielab » qui avait pour but de poser un diagnostic et une prospective sur l’attractivité de la Normandie à partir des idées, avis et remarques d’un panel de décideurs, acteurs de la société civile normande.
La prochaine réunion aura d’ailleurs lieu le 10 janvier 2017, le jour de la Saint Guillaume… On espère que cette dernière date a été choisie de façon délibérée et qu’elle sera mieux diffusée auprès des acteurs concernés car, la veille au soir à Caen, il y avait aussi une réunion de réflexion sur l’attractivité future de l’agglomération Caen la Mer. On a beau être plongé dans l’enfer pavé de toutes les belles promesses de la société numérique, on n’a pas encore tous acquis le don de l’ubiquité.
L’organisation du travail du « panel d’acteurs » a été réalisée par deux animateurs du cabinet Co-managing avec un souci d’efficacité quelque peu directif qui aura pu, parfois, contraindre la spontanéité des échanges ainsi que leur densité car l’opération a consisté en un écrémage successif à partir des réflexions de plusieurs groupes de travail sur plusieurs sujets pour aboutir à la rédaction de grandes idées générales sur des cartons colorés adhésifs qu’il a fallu commenter, expliquer et justifier, l’animatrice faisant pendant ce temps, une captation sonore de nos échanges à l’aide de son smartphone.
Malgré ce cadrage directif faussement ludique (par exemple: se jeter une balle pour faire circuler la parole dans le groupe), de nombreuses idées et réflexions sur la Normandie, son image, son potentiel, ses difficultés ont jailli: la méthode participative et collaborative a été appréciée et les professionnels du cabinet Co-Managing (un cabinet parisien…) nous ont, globalement, laissé notre liberté de parole.
Cependant, le problème que d’aucuns ont soulevé à la fin de la réunion et surtout après (il en est toujours ainsi et on appelle ça, d’ailleurs, « l’esprit d’escalier ») c’est celui de la gestion de toutes ces belles idées normandes issues de la société civile normande ainsi consultée en profondeur et avec patience lorsque toutes ces belles idées normandes parviendront au bout de…
Car le risque est grand, avec cette méthode, que le dernier filtrage à la sortie de l’entonnoir des synthèses successives, ne consiste à sélectionner que les idées souhaitées ou confortant l’a priori ou le préjugé de la maîtrise d’ouvrage ou d’oeuvre qui a mis en branle cette expérience bienvenue de maîtrise d’usage plus ou moins démocratique dont le rôle n’est certainement pas de justifier la vision surplombante d’une institution publique en mal de légitimité.
Et on sait que la République française par essence, verticale, centralisatrice et autoritaire, a de grosses difficultés avec la fameuse horizontalité démocratique issue d’une société civile, libre et responsable: ce constat critique vient d’ailleurs d’être rappelé avec force par onze associations citoyennes françaises à propos d’un lénifiant et improbable sommet du « Partenariat international pour un gouvernement ouvert » qui se tient ce 7 décembre 2016 à Paris puisque la France vient de prendre la présidence de cette initiative internationale lancée par le président américain Barack Obama.
Nous ne pourrons que partager que le scepticisme de la société civile française face à l’absence de culture de la démocratie d’exercice ou de la « maîtrise d’usage » chez les dirigeants français qu’ils soient publics ou privés:
https://www.franceculture.fr/numerique/comment-gouverner-autrement-grace-au-numerique
Du communiqué officiel de ces onze associations publié ce 7 décembre 2016, nous extrayons ceci:
« 3/ Un système de participation citoyenne de façade biaisé par des conflits d’intérêts
Beaucoup de communication pour flatter le citoyen et des consultations instrumentalisées qui masquent des passages en force et l’action des lobbies
Le gouvernement et les administrations ont multiplié les consultations : pour le projet de loi République numérique, sur l’Europe des startups, pour le projet de loi Égalité et Citoyenneté, pour le projet de loi Égalité réelle outre-mer, pour l’élaboration de la charte de participation du public au dialogue environnemental, pour l’élaboration de la stratégie internationale de la France pour le numérique, pour l’élaboration de la stratégie numérique de l’Agence française de développement…
Les opérations de communication organisées à l’occasion de ces consultations suggèrent que l’avis de chaque citoyen jouerait un rôle déterminant
(« Écrivons ensemble la loi numérique » pouvait-on ainsi lire lors de la consultation sur la Loi République numérique).
En pratique, il n’en a rien été et certaines associations l’ont dénoncé :
« Ce n’est pas la multiplication des consultations et autres embryons de processus participatifs qui redressera le cap, tant que les logiques politiques d’autrefois continueront de prévaloir. Depuis deux ans, la société civile n’aura à la fois jamais été autant consultée et aussi peu entendue […]. La logique participative a été constamment instrumentalisée pour masquer la persistance de la mainmise de la machine administrative et des lobbies installés » écrivait ainsi la Quadrature du Net en mai 2016 qui concluait à un « bilan catastrophique ».
En outre, tout en communiquant sur sa capacité d’écoute du citoyen, le gouvernement n’hésitait pas à imposer ses décisions quitte à court-circuiter les mécanismes parlementaires usuels (6 utilisations de l’article 49-3 de la Constitution à l’occasion des lois « Macron » et « El Khomri », trois lois de prorogation de l’état d’urgence présentées, discutées et promulguées en moins de 72h) et à faire fi de la mobilisation historique de la société civile ayant donné naissance au mouvement « Nuit Debout ».
Même le Conseil d’État a déploré publiquement « un défaut du travail gouvernemental ». En effet, le gouvernement avait saisi le Conseil économique, social et environnemental (une représentation institutionnelle de la société civile) et d’autres organismes trop tardivement de manière à ce qu’il était impossible que leur avis permette « d’en tirer le moindre profit pour améliorer, voire infléchir, [le] projet de loi », conduisant ainsi « à une véritable dénaturation de ces procédures consultatives, rendues obligatoires soit par la Constitution elle-même, soit par la loi ».
Le constat est sans appel : le gouvernement multiplie les consultations pour donner l’impression à la société civile qu’elle « co-construit » la politique du pays mais il reste sourd à l’avis des citoyens et à celui de leurs représentants, dès que les questions soulevées ou la tonalité ne lui plaisent pas. »
A priori, le tout beau et tout neuf pouvoir régional normand ne devrait pas être concerné par cette critique fondamentale:
- Parce que la mission attractivité Normandie n’est pas une communication de crise mais bel et bien une communication de projet.
- Parce que la Normandie préexiste depuis plus 1100 ans à la commande institutionnelle pour créer une « marque » Normandie.
- Parce que la société civile normande est plus légitime, plus outillée et plus puissante pour parler de Normandie que l’institution régionale qui vient enfin d’être réunifiée pour la bonne simple raison que c’est la société civile régionale qui a su préserver la belle idée d’unité normande face à une classe politique défaillante pendant les années de la division.
- Parce que la Normandie est une civilisation dont l’ampleur, la profondeur et la complexité ne sauraient être enfermées dans une simple communication publicitaire (On ne lance pas LA Normandie comme une savonnette sur le marché).
- Parce qu’enfin, le patrimoine culturel, juridique et politique d’une Normandie où le souci du droit est constant depuis plus de 800 ans, oblige à ce que soit enfin expérimentée de façon authentique une maîtrise d’usage démocratique normande dans le cadre de la Mission Attractivité Normandie qui ne saurait être considérée comme une « usine à gaz » de plus décourageant les intelligences et les enthousiasmes de notre printemps normand.
Nous exigeons, tout simplement, que les conclusions, les réflexions, les idées de la société civile normande ainsi consultée en profondeur aient une réelle valeur PRESCRIPTIVE auprès de la future agence de l’attractivité régionale qui aura en charge de les mettre en action.
Compte-rendu du « Normandielab » du 6 décembre 2016:
Dans la salle « Guillaume » de l’abbaye aux Dames à Caen, nous étions environ une trentaine de personnes, des décideurs de la société civile normande venus essentiellement des trois départements ex bas-normands (la réunion étant caennaise, sachant que plusieurs réunions avaient lieu un peu partout en Normandie), des chefs d’entreprise, des présidents d’association, des représentants d’institutions ou d’agences… On notera la présence du président de Brittany Ferries ou du directeur de la marque « Gourmandie » à cette réunion.
Le travail a commencé par un jet d’idées et de réflexions normandes sur des feuilles adhésives à positionner ensuite sur quatre grandes feuilles blanches:
1) ce qui nous enthousiasme en tant que Normands
2) le constat de l’attractivité normande aujourd’hui
3) ce qui nous met en colère en tant que Normand
4) ce qui nous inquiète pour l’avenir de la Normandie
Sur le premier point, la notoriété exceptionnelle de la Normandie est apparue avec évidence, ainsi que le poids du patrimoine culturel et historique, la variété et la beauté des paysages, la présence de la mer, la gastronomie, les savoir-faire etc… Pour expliquer cette notoriété normande qui ne date pas seulement de 1944, j’ai insisté particulièrement sur l’idée que la Normandie est une civilisation dont les réalisations sont enseignées à l’école dans le monde anglo-saxon.
Sur le second point, est apparu le contraste paradoxal entre les potentiels normands et la réalité. J’ai évoqué l’image d’un jardin en friche, d’une jachère identitaire. Beaucoup de « pépites normandes » cachées avec le constat des difficultés collectives et psychologiques normandes: l’individualisme frileux, l’indécision, le replis sur soi, le localisme, le manque de vision globale, ne pas savoir se vendre ou se défendre. Ne pas se connaître assez. Constat aussi que la réunification est une chance (pour nous c’est un juste retour à la normale) et qu’il y a un réveil normand, l’éveil d’une fierté d’être Normand… comme les Bretons?
Sur ce point, j’ai indiqué que le caractère normand avait des points très positifs: un individualisme lucide et prudent qui prend le temps démocratique nécessaire pour décider. Mais surtout dire qu’il fallait arrêter de se comparer sans cesse à la Bretagne: l’identité normande est d’une autre nature et heureusement. Il ne s’agit pas d’un chauvinisme régional de plus mais d’un existentialisme: être non pas plus Normand que les autres mais être plus soi-même grâce à la Normandie.
Sur le troisième point: la déshérence de la Normandie en matière de transport a sauté au yeux de tous. Mais aussi la fuite des jeunes. Ainsi qu’une image peu flatteuse notamment donnée par les grands médias audiovisuels (l’effet pluie météo). L’esprit bocain normand et un certain « repli identitaire » et sur le passé agacent certains acteurs de la société civile. Une personne a évoqué la question essentielle de la faiblesse des revenus et salaires en Normandie (inférieurs à la moyenne nationale): une sacrée difficulté si l’on souhaite attirer et retenir les talents!
Sur le point de savoir si l’héritage patrimonial normand pouvait être un facteur d’attractivité, j’ai fermement expliqué (pour parler comme certains dans le groupe) que « performer un territoire dans un top de n’importe quoi pour être le plus fun, le plus cool ne correspondait pas à la Normandie »: ces sornettes seront prochainement ringardisées par les échéances du changement climatique, d’un retour à une société plus humaniste, solidaire, authentique, spirituelle, plus lente (eux ils disent « slow ») si l’on veut survivre (lire à ce sujet le dernier essai de Paul Jorion).
Fort de ce constat et d’autres remarques allant dans le même sens (l’art de vivre) faites dans d’autres groupes, la notion de « Normandie, région humaniste » est ressorti assez nettement. Enfin, j’ai évoqué (sur l’un des « post-it » et je fus bien le seul) la question stratégique déplorable du reflet médiatique régional normand par la presse quotidienne régionale dominante notamment en ce qui concerne l’information sur les formations diplômantes à destination des lycéens de l’académie de Caen. à croire qu’il ne faut pas critiquer Ouest-France à Caen!
Sur le quatrième point, le plus délicat, à savoir des inquiétudes: la question de la peur de l’avenir, du repli sur soi, d’un risque de fracture territoriale entre une Normandie des villes et une Normandie des champs est ressortie assez vite. La question des déserts ruraux et des « zones blanches » est ressortie aussi. Mais, à mon grand étonnement, aucune allusion chez les autres acteurs et décideurs normands présents à mes inquiétudes concernant l’Axe Seine et le risque possible d’une nouvelle sujétion des forces vives normandes à la région parisienne.
Je fus le seul à en parler et à prendre la parole pour justifier cette inquiétude alors que les autres acteurs n’y voyaient qu’une évidence qui ne méritait pas qu’on en parle davantage. Etre proche de Paris c’est tellement évident et c’est tellement avantageux… Eh bien non justement! L’animatrice a d’ailleurs noté que c’était la première fois que ce sujet si grave, si essentiel pour l’avenir même de la Normandie (Axe Seine, LNPN, CPIER, schéma stratégique) était évoqué dans l’une des réunions de la Mission attractivité (organisées sur le périmètre de l’ex Basse-Normandie, précisons…) Mieux vaut donc tard que jamais!
Enfin, le moment était venu d’imaginer de façon bien improbable pour toutes celles et ceux qui n’avaient pas, en venant à la réunion, quelques idées normandes fortes et précises, d’imaginer la Normandie forte, attractive et rayonnante à l’horizon 2056 (soit, quarante années après le lancement de la marque « Normandie »)
Sur ce dernier point, j’avoue avoir travaillé un peu plus que les autres pour proposer une Normandie, première destination du tourisme culturel en Europe (jugé trop ambitieux: j’ai rétorqué que c’était déjà le titre de gloire de la Normandie à la fin du XIXe siècle), une Normandie, première région française de l’innovation humaniste, de l’économie sociale et solidaire, centrée sur la recréation des individus avant de prendre la parole devant les autres, pour défendre une Normandie anti modèle idéologique au matérialisme technicien ultralibéral dominant voué à un effondrement mondial prochain, en proposant une Normandie existentialiste celle d’un « individualisme aristocratique », se déclarant « sire de sei » (souverain de lui-même) valorisant un art de vivre, une civilisation humaniste ou la spiritualité n’est pas loin (la Normandie ou l’anti bronze-cul ou l’anti spot à bobos métros fatigués de poursuivre ce qu’ils ne seront jamais).
Bref! « la Normandie, région dandy » (ça a beaucoup plu au Monsieur de l’IRQUA).
Dans la même veine d’idée, certains on défendu une Normandie reine de la qualité agro-alimentaire (on pourrait aller même vers la création d’une filière normande du luxe alimentaire, ai-je précisé)… Certains ont rêvé d’une Normandie, première région française pour les énergies marines renouvelables et leader européen dans les bio-matériaux et la chimie verte. Certains ont rêvé d’une université normande unifiée figurant dans le classement de Shanghaï (ah les classements!). D’autres, ont repris l’idée du collectif des Quinze géographes universitaires normands d’une Normandie du télé-travail vivant au rythme de sa « métropole normande jardin » à partir du triangle Caen, Rouen Le Havre au coeur d’une Normandie complètement désenclavée et dont les butoirs parisiens de la gare Saint Lazare ne seraient plus le terminus… Enfin, j’ai évoqué une Normandie de l’économie maritime enfin souveraine avec un système portuaire normand entièrement unifié et un gouvernement portuaire au Havre pour expérimenter enfin un peu en France de ce communalisme portuaire qui fait la réussite des grands ports maritimes de l’Europe du Nord.
Dans cette affaire, quelqu’un a fait remarquer qu’on avait oublié de parler du cheval. J’ai dit alors à cette personne que la Normandie était à 50 contre un face au Grand Paris: pour l’instant, le défi est d’intéresser les Normands à la Normandie, de les enthousiasmer avec la Normandie. Sur ce point on sera confiant et ce pour deux raisons:
1) l’héritage normand est tellement prestigieux qu’il donne une légitime fierté qui n’a de compte à rendre à personne: la Normandie est déjà connue et appréciée dans le Monde entier.
2) Les valeurs normandes et la matière normande sont très positives. Et c’est une véritable jubilation que de moucher tous les grincheux défaitistes et déclinistes à grands coups de baffes normandes!
L’idée normande commence déjà à remonter le moral à toute une société civile régionale.
Elle permet aussi de remonter le niveau: c’est un véritable annoblissement collectif.
La normandisation de la Normandie va donc pouvoir se faire.
Restera donc à nous préparer à l’étape suivante, décisive: la normandisation de l’enjeu national de l’AXE SEINE… sous le nez du Grand Paris.
C’est le grand pari normand.
Conclusion:
J’ai rappelé que la Normandie était une civilisation et qu’il fallait une démarche globale d’attractivité: le marketing territorial n’est pas suffisant.
Le patron de la Britanny Ferries a fait remarquer qu’il doutait d’une affirmation régionale en matière de marketing afin de ne pas troubler l’image de la destination France (On aurait pu lui faire remarquer que les Bretons n’ont pas le monopole du marketing régional, tout en pratiquant un marketing qui restera plus perturbant pour l’image de la France que le futur marketing territorial normand).
D’une manière générale, les acteurs présents ont apprécié la soirée et le fait que les idées qui ont jailli étaient assez nombreuses: tous ont salué le début d’un processus très positif.
Affaire à suivre! Puisqu’il s’agit de nos affaires normandes!
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