De la chambre de l’hôtel Normandia, que dire ? L’essentiel tient à l’évocation du vieil auteur précité. Voilà qui suffit. Ou devrait suffire. Mais de ce que vit la jeunesse d’aujourd’hui, il faut croire que rien n’excède. Les romanciers d’autrefois savaient de quoi parler. Pour eux, décrire un lieu revenait à montrer leurs personnages (et autre chose aussi).
Caroline Morand louait ses chambres au mois et à la journée. Dans les années Soixante, c’était aussi pour un moment, le temps pour les couples illégitimes (terme d’époque) de se consoler du peu de perspective d’avenir. Le Normandia se nommait autrefois Home Cordier. Celui-ci, inauguré au début de l’ancien siècle, figure dans les nomenclatures des Guides Bleus édités au tournant de la Grande Guerre, époque où les fervents du Touring Club connaissaient l’adresse et en faisaient la promotion.
Les quartiers, les lieux, les gens meurent comme ils vivent ; ils prennent le temps. La dame Morand, héritière par défaut (histoire trop longue à raconter) acheta en 1946 un établissement qui vivait sur une antique réputation. Débaptisé, remis au neuf du moment, l’hôtel fit encore illusion, le temps pour les valises à courroies de devenir trolleys à roulettes. Saisons fastes, mais comme pour le tapis de l’escalier, l’usure s’installait. Caroline le constatait année après année : la clientèle osait tout en matière d’insolences. Même les étudiants, présentés par les parents, s’y mettaient. Futurs médecins, avocats, architectes, pensez ! Tous les mêmes !
Dans la chambre 22 du quatrième étage, on trouvait un lit, une table, deux chaises, trois placards. En 1964, dans celui de gauche, près de la fenêtre, on installa une douche. Les waters, eux, restèrent sur le palier. La nuit, en cas de besoin, à pas de loup, on rejoignait les lieux. Le plus souvent, Nicolas, Charly et Roberto pissaient dans le lavabo. Un lit pour trois ? Non pas, car un clic-clac occupait depuis peu le peu d’espace restant.
Tassés ? Oui et pas seulement de nuit. Ou de jour, car la jeunesse oublie les heures. Comme on dit : porte ouverte à qui l’entend. Inutile de faire sauter le verrou : il n’y en a pas. Par les deux fenêtres donnant sur la rue et exposées au sud, on apercevait au loin un bout de cathédrale, les cimes des arbres du square Solferino, et à droite la Tour Jeanne d’Arc, l’immeuble des Anciennes Mutuelles ; de l’autre côté, c’était la perspective de la rue avec, faisant angle, la boulangerie Beauvoisine.
Pour qui pénétrait dans la chambre, l’extrême désordre sautait à la figure. Livres, cédés, feuilles éparses, vaisselle sale, fringues jetées n’importe comment… Au montant d’une fenêtre, pendait un duffle-coat (qu’on apprendra être griffé Ralph Lauren). Ajoutez sacs plastique, emballages divers, et des affiches scotchées ou punaisées. Quatre ou cinq. L’un de ces posters représentait une scène du film Ben-Hur montrant Charlton Heston figurant le solide galérien enchainé et fouetté par un décurion. Ou centurion ? Un autre, plus transparent, n’était autre qu’une des dernière Une de Charlie-Hebdo.
Alors, quitter tout cela ? Ailleurs, de l’urgence viendrait la réconciliation.