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Le climat et le juteux commerce du doute

LE MONDE | 02.03.2015 | Par Stéphane Foucart 

Une mine à Donetsk, en  Ukraine. Maria TURCHENKOVA.
image: http://s2.lemde.fr/image/2015/03/02 
Pauvre Wei-Hock « Willie » Soon ! Outre-Atlantique, la presse fait des gorges chaudes des turpitudes de l’astrophysicien américain, et les titres ne sont pas précisément flatteurs. Le malheureux chercheur du Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics est depuis quelques jours au centre […]

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LE MONDE | | Par Stéphane Foucart 

Une mine à Donetsk, en  Ukraine. Maria TURCHENKOVA.
Une mine à Donetsk, en Ukraine.image: http://s2.lemde.fr/image/2015/03/02 

Pauvre Wei-Hock « Willie » Soon ! Outre-Atlantique, la presse fait des gorges chaudes des turpitudes de l’astrophysicien américain, et les titres ne sont pas précisément flatteurs. Le malheureux chercheur du Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics est depuis quelques jours au centre d’une méchante histoire dont les principaux ingrédients sont le climat, les intérêts contrariés des industriels des énergies fossiles et la corruption de la science. Une histoire qui, en cette année de négociations climatiques décisives, ne pouvait que déchaîner les passions.

L’objet du délit est consigné dans une série de documents confidentiels du Harvard-Smithsonian, obtenus par Greenpeace et le Climate Investigations Center au terme d’une procédure légale, et publiés le 21 février. Ces 131 pages sont accablantes. En une décennie, des industriels du charbon ou de la pétrochimie ont payé, directement ou par le truchement de leurs faux-nez, quelque 1,2 million de dollars pour que le chercheur cherche. Cela s’est traduit par la mise à la torture de toutes sortes de données, dans le but évident de leur faire dire n’importe quoi pourvu que ce fût un moyen de jeter le doute sur l’ampleur du changement climatique, ou sur ses causes humaines. Une dizaine d’« études », conduites par M. Soon, ont ainsi été publiées ; dans la grande majorité d’entre elles, l’astrophysicien a caché ses sources de financement, en contravention avec les règles éthiques.

Les « travaux » climatiques de M. Soon n’ont bien sûr jamais abusé la communauté scientifique compétente. Mais ils ont été systématiquement mis en avant, notamment par des parlementaires républicains, pour contester toute mesure contre le réchauffement. De ce simple fait, M. Soon a eu, ces dernières années, une influence déterminante sur la politique et le débat public américains. « Si vous doutez du changement climatique anthropique, M. Soon n’est pas seulement votre homme, résume plaisamment le Washington Post. Il est votre grand prêtre. »

Rôle actif de l’institution dans le système

Tout cela n’est pas complètement nouveau. En 2011, les historiens des sciences Naomi Oreskes (université Harvard) et Erik Conway (NASA) ont décrit dans un livre (Les Marchands de doute, Le Pommier, 2012), tout récemment porté à l’écran, comment une poignée de scientifiques peuvent utiliser le langage, le discours et les codes de la science pour attaquer la connaissance et remettre systématiquement en cause des découvertes embarrassantes – de la nocivité de la cigarette aux pluies acides en passant par le changement climatique.

La nouveauté est ici que les documents dévoilés ne révèlent pas seulement les agissements d’un chercheur isolé : ils montrent que le Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics, fruit d’une joint-venture entre deux des plus prestigieuses institutions scientifiques américaines (l’université Harvard et la Smithsonian Institution), a joué un rôle actif dans ces opérations. Les demandes de financement de M. Soon ont ainsi toutes été transmises officiellement aux industriels par le truchement des hautes instances du Harvard-Smithsonian. L’institution rendait ensuite compte aux commanditaires de la tâche accomplie par le scientifique, leur présentant les papiers que M. Soon parvenait à faire publier comme des « produits finaux » (deliverables, en anglais), c’est-à-dire comme l’objet d’un commerce.

Tout cela a plus à voir avec le commerce d’influence qu’avec la science

Ce n’est pas tout. Le Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics comptabilisait dans ces « produits finaux » les interventions de son chercheur dans des forums parfois sans lien avec le prétexte scientifique du financement, comme par exemple des rencontres organisées par le Wall Street Journal avec des capitaines d’industrie… Tout cela a plus à voir avec le commerce d’influence qu’avec la science. Et pour parfaire le tableau, le Harvard Smithsonian Center for Astrophysics prélevait environ la moitié des sommes investies par les industriels, l’autre moitié profitant à M. Soon.

Dans cette affaire, le plus inquiétant n’est pas le comportement d’un chercheur isolé. C’est le système mis en place par son institution, qui s’est partiellement changée en officine de communication, monnayant le prestige de son nom auprès d’intérêts désireux de discréditer la science. Interrogé par le Chronicle of Higher Education, Andrew Hoffman, professeur à l’université du Michigan, l’a clairement formulé : « Pourquoi M. Soon a-t-il seulement été écouté ? Parce qu’il y a Harvard après son nom. Une fois que vous avez retiré cela, qui est M. Soon ? Il n’est personne. »

Sans avoir reçu de formation en sciences du climat (il est docteur en ingénierie spatiale), M. Soon publiait sur une variété étourdissante de sujets : la montée de la mer au Bangladesh, les populations d’ours polaires dans la baie d’Hudson, les mystérieuses (et largement fantasmatiques) corrélations entre l’activité solaire et le réchauffement récent, le caractère délétère de l’idée même de consensus en science, les variations d’albedo de l’Arctique, etc. Tout cela n’était tenu par aucun programme scientifique, si ce n’est celui d’attaquer, souvent à tort, les conclusions des spécialistes du climat. Que l’université Harvard et la Smithsonian Institution aient toléré une telle situation pendant plus d’une décennie pose question. Qu’elles en aient financièrement profité est simplement incroyable.

 

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