La SNCF est-elle toujours un service public ? Son comité central d’entreprise veut le croire malgré ses interrogations sur la réforme ferroviaire. Le CCE a mandaté le cabinet d’expertises CHSCT (1) Degest pour l’assister durant le processus de restructuration de l’entreprise qui sera mis en place au 1er juillet 2015 avec notamment « l’éclatement » de la SNCF en trois EPIC. Au centre du débat, l’objectif de la stabilisation de la dette du système ferroviaire d’ici à dix ans prévu dans la loi du 4 août 2014.

Cette trajectoire financière implique la mise en place d’une règle d’or qui limite de fait l’investissement puisque que le développement du réseau devra respecter certains ratios d’endettement de SNCF Réseau. « Une cage de fer qui va non seulement limiter les investissements d’extension mais aussi ceux de développement, c’est-à-dire la modernisation des lignes comme, par exemple, l’électrification ou la mise en double voie« , a expliqué Rémi Brouté, économiste du CCE.

En outre, la stabilisation de la dette passera par une amélioration de la performance opérationnelle. Elle sera définie dans les contrats de performance que l’Etat passera avec les trois EPIC d’ici à fin 2015, chacun devant économiser 500 millions d’euros pour résorber le déficit structurel de 1,5 milliards d’euros d’ici à dix ans.

Baisse des effectifs

Pour le cabinet Degest, la recherche de l’amélioration de la performance opérationnelle aura des conséquences sur l’emploi, l’offre et la consistance du réseau.
Son rapport table sur une diminution de 10 000 emplois ETP (équivalent temps plein) à SNCF Mobilités d’ici à 2020, « confirmées par les décisions prises lors de l’élaboration du budget 2015« . Cette accélération du rythme de baisse des effectifs a « des conséquences sérieuses sur la charge et les conditions de travail des cheminots« , selon le cabinet qui avance un indicateur de morbidité de la SNCF en hausse constante depuis 2007. Par ailleurs, le cabinet Degest affirme que la productivité du travail a augmenté de 36% en moins de dix ans.

Les Intercités sacrifiés

Deuxième conséquence induite par la réforme selon le cabinet, une réduction de l’offre ferroviaire – baisse des dessertes et suppression de trains. Il s’agirait de se concentrer sur les lignes les plus rentables donc sur les axes les plus denses. « Ces voies existent, autant les utiliser et les amortir. Moins il y aura de trains qui circuleront, moins on pourra financer les infrastructures », a souligné Arnaud Eymery directeur général du cabinet Degest.

Première victime désignée, les trains Intercités. Les conclusions de la commission Duron sur l’avenir de ces trains d’équilibre du territoire (TET) doivent conduire à un toilettage de l’offre, notamment pour l’articuler avec la route, au moment où la loi Macron libéralise le marché de l’autocar longue distance. Le cabinet Degest voit mal les régions reprendre certaines lignes Intercités alors qu’elles voient les dotations de l’Etat baisser. En outre, la régénération des lignes circulées par moins de 20 trains par jour reviendra à la charge des régions ou de l’Etat s’ils souhaitent les exploiter (Cf. Plan de modernisation du Réseau de 2012). Le cabinet Degest préconise de reprendre les conclusions de la commission Duron I afin mettre la priorité sur les points de saturation du réseau.

Un réseau abandonné

Troisième conséquence selon le cabinet Degest, une diminution de la consistance du réseau, en particulier sur les lignes UIC 7 à 9 (moins de 20 trains/jour) que ce soit pour le fret ou le trafic voyageurs. Une mesure déjà à l’œuvre qui consiste dans un premier temps à réduire la vitesse sur ces lignes vieillissantes – l’âge moyen est de 73 ans sur des lignes de fret – puis à les fermer pour des raisons de sécurité. Or, pour le cabinet Degest, cette mesure ne permettra pas de remplir la trajectoire financière voulue par la réforme. En effet, le rapport rappelle que « dès 2009, RFF a présenté un scénario médian de suppression des 7500 kilomètres de lignes circulées par moins de 14 trains par jour. Cette fermeture de près du quart du réseau national ferré (229 millions d’euros d’économies, via notamment la réduction de 3454 empli ETP) ne règlerait cependant que 15% du déficit structurel« .

Que fait l’État ?

Le comité central d’entreprise considère, en outre, que la réforme ferroviaire pose deux questions : le CCE y voit une contradiction entre l’ambition affichée de créer un système ferroviaire intégré destiné à juste titre à répondre aux dysfonctionnement opérationnels constatés, et la réalité qui impose une logique de cloisonnement entre Réseau et Mobilités. Autre question posée par le CCE : « Quel doit être le niveau de contribution de la puissance publique et plus particulièrement de l’État au financement du réseau et de son désendettement ?« 

Il existe déjà un début de réponse à ces questions.

La reprise de la dette de SNCF Réseau (ex-RFF) – 36,78 milliards d’euros à fin 2014, comme le souhaitent les syndicats de la SNCF, n’est pas prévue dans la loi portant réforme ferroviaire, et n’est pas envisageable dans la mesure où le gouvernement s’est engagé à remplir les critères de déficit de Maastricht.

S’agissant de l’engagement de l’État, le rapport Degest constate que « la baisse du soutien de l’État, en cours depuis le milieu des années 2000, n’est pas traité par la loi du 4 août 2014 : une réforme du ferroviaire ambitieuse aurait pu commencer par fixer un niveau de subvention minimum de la part des pouvoirs publics, à même de faire face aux enjeux actuellement en cours.« 

En conclusion, le cabinet Degest ne croit pas que la trajectoire financière imposée soit réalisable, mais craint que la direction de la SNCF tente, malgré tout, de la mettre en oeuvre. Cependant, l’ampleur de l’effort demandé n’est pas tranché. Le comité central d’entreprise de la SNCF souligne que deux inconnues demeurent à ce jour sur cette réforme : les transferts d’actifs programmés au mois de juillet 2015 et les contrats de performance qui seront passés entre l’État et les trois EPIC prévus en fin d’année, deux décisions qui seront soumises à l’avis des élus du CCE.

Autre inconnue de taille, l’évolution du cadre social qui a été renvoyée à un décret socle…

Florence Guernalec sur le site Mobilicité

(1) CHSCT : Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail