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« La première cause de destruction des zones humides, c’est l’intensification agricole »

Le Monde.fr | 03.02.2015 à 11h55 • Mis à jour le 03.02.2015 à 12h00 | Propos recueillis par Martine Valo 

A l’occasion de la journée mondiale des zones humides, François Letourneux, co-président de l’UICN-France, l’Union internationale pour la conservation de la nature, et président de la Fête de la nature, détaille les enjeux de […]

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Le Monde.fr | • Mis à jour le | Propos recueillis par Martine Valo 

Dans une zone humide protégée à Dubai, le 24 janvier.

A l’occasion de la journée mondiale des zones humides, François Letourneux, co-président de l’UICN-France, l’Union internationale pour la conservation de la nature, et président de la Fête de la nature, détaille les enjeux de ces concentrés de biodiversité.

Selon une estimation du Programme des Nations Unies pour l’environnement, 64 % des zones humides auraient disparu de la surface de la planète depuis 1900. Comment définissez-vous ces zones ?

Le terme désigne tous les lieux de contact entre la terre et l’eau, les endroits où alternent sols secs et détrempés selon les moments. Ce sont les étangs littoraux, les bords de rivières, de lacs, les marais… Tous ces réservoirs de biodiversité où se produisent les échanges entre le monde aquatique et le monde terrestre font la richesse de la nature.

Toute cette biomasse particulièrement dense capture beaucoup de carbone. Surtout, ces espaces offrent les plus magnifiques spectacles. Ainsi ce n’est pas dans l’eau mais dans les plaines inondées que les brochets pondent ; sans îlots au milieu des étangs, les oiseaux d’eau ne peuvent pas se poser…

Pourquoi sont-elles devenues un lieu emblématique, un enjeu de protection à tout prix, comme à Sivens ou à Notre-Dame-des-Landes ?

Certaines occupent une place particulière dans l’actualité, au risque d’en négliger d’autres. C’est nouveau. Je comprends ce souci de les préserver. Les zones humides constituent des réservoirs d’eau potable. Les végétaux qui s’y développent consomment de la matière organique et filtrent ainsi une partie de la pollution. Elles ont un rôle essentiel dans la lutte contre les inondations. Les mangroves qui poussent en eau saumâtre, atténuent les destructions causées par les tsunamis. On a pu mesurer l’effet catastrophique de leur absence lorsque des grands élevages de crevettes ont pris leur place, comme en Asie.

Mais contrairement à ce que prétendent certains pessimistes, la destruction de zones humides n’entraîne pas systématiquement la disparition de telle ou telle espèce.

image: http://s1.lemde.fr/image/2015/02/03/Un campement de militants écologistes près du site du barrage de Sivens, le 6 janvier.

Quelles sont les principales menaces qui pèsent sur les zones humides ? Est-ce l’urbanisation, la croissance de la population ?

Ce n’est pas le cas en France. L’idée de favoriser la biodiversité en ville progresse. Il faut dire qu’on partait de très bas. La tendance actuelle est plutôt de remettre de l’eau quand c’est possible, en mettant au jour des rivières enterrées comme la Bièvre au sud de Paris par exemple. On aménage aussi les quais en fonction des besoins de nidification des oiseaux… En Seine-Saint-Denis, il y a des parcs urbains stupéfiants où l’on peut voir une dizaine d’orchidées différentes, du foin et des moutons, des hérons et des bécassines, en pleine banlieue nord ! Le parc Georges-Valbon à la Courneuve, par exemple, est extraordinaire.

En réalité, la première cause de destruction de zones humides, c’est clairement l’intensification agricole. C’est une histoire vieille de dix-mille ans : quand les chasseurs-cueilleurs ont commencé à conserver et à planter des graines, ils sont en quelque sorte sortis de la complexité de la nature pour aller vers plus de simplicité. Tel est le principe, réduire la complexité en détruisant tout ce qui gêne : les insectes – quitte à supprimer les pollinisateurs avec les ravageurs de récoltes –, les mauvaises herbes, les oiseaux, les haies, les fossés… L’agriculture intensive assèche puis installe des pompes pour irriguer. C’est ainsi que la moitié des zones humides de l’ouest du pays ont disparu, notamment dans la région du Marais poitevin.

La situation vous paraît-elle devoir durer ?

Je pense que l’on est à un tournant. On connaît les solutions mais on ne les applique pas. Les responsables de la filière agricole continuent de défendre les pratiques intensives, mais ils y croient de moins en moins.

Vous avez dirigé le Conservatoire du littoral pendant longtemps, diriez-vous que ces espaces-là se portent mieux ?

En bord de mer, les zones humides, qui ont été pas mal brutalisées par le tourisme, réclament elles aussi une nouvelle approche. Les digues en dur ne sont pas le bon moyen pour protéger le littoral. La tempête de 1999 en Charente-Maritime l’a montré. Les flots ont sauté par-dessus un de ces enrochements, puis au-delà d’autres talus moins hauts, jusqu’à 15 km à l’intérieur des terres… sans pouvoir se retirer ensuite. Du coup, le parc naturel régional de Camargue, dont je préside le conseil scientifique et d’éthique, a décidé de tenter une expérience. Du côté de Salins-de-Giraud [Bouches-du-Rhône], plutôt que de continuer à renforcer une digue très coûteuse à entretenir, nous allons laisser l’eau de mer entrer et voir ce qui est le plus efficace.

image: http://s2.lemde.fr/image/2015/02/03Une zone humide protégée près de Lima, au Pérou, le 5 décembre 2014.

Désormais, lorsque l’on détruit une zone humide, on doit rendre des espaces asséchés à leur vocation initiale en compensation. Que pensez-vous de ce dispositif ?

On peut en discuter. Le principe des compensations correspond à la façon de voir de ceux qui veulent donner une valeur économique à l’écologie. Mais honnêtement, cette politique n’est pas une réussite sur le terrain. D’abord, quand on réhabilite une ex-prairie inondable qui a été drainée, il faut beaucoup de temps avant qu’elle ne rende les mêmes services écologiques. Et puis rien n’est interchangeable, une forêt n’en vaut pas une autre, c’est très compliqué… Surtout, comme personne ne suit ça de très près, l’autorité environnementale se plaint que certains lui vendent trois fois le même endroit en guise de compensation possible !

Certains défendent l’idée que la nature doit avoir une valeur financière comme tout le reste, sinon elle ne vaudrait rien. Pour moi, ce n’est pas ça, le progrès. Le vrai progrès, c’est de se réconcilier avec elle : être à nouveau capable d’aller s’asseoir dans l’herbe, retrouver le contact avec les oiseaux, les insectes. Considérer différemment le bout de ruisseau qui passe au fond du jardin, la mare que le maire veut faire combler, et se faire expliquer cet environnement par des connaisseurs. C’est pour cela que nous organisons la Fête de la nature. Cette année, elle aura pour thème « Au bord de l’eau » et aura lieu un peu partout en France, du 20 au 24 mai.

 

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