Ici et là s’élèvent des voix demandant aux musulmans de France de se « désolidariser » du massacre perpétré dans les locaux de Charlie Hebdo et boulevard Richard-Lenoir, de descendre dans la rue pour montrer qu’ils ne sont pas d’accord, qu’ils sont contre. Mercredi soir sur i>Télé, l’écrivain et réalisateur Yann Moix se souvenait de « les » avoir trouvés déjà trop silencieux au moment de l’affaire Merah.
Nous trouvons cela insupportable. Et dangereux, car faisant planer l’idée qu’il y aurait un soutien de principe, une solidarité a priori.
Nous avons téléphoné à Youssef Seddik. Il est philosophe, anthropologue, spécialiste de la Grèce ancienne et du Coran. Il est né en Tunisie et vit à Paris depuis 1982. Nous avions besoin de son avis sur cette injonction.
« Nous sommes effarés, nous sommes hors de nous, mais n’avons pas à nous justifier en tant que musulmans.
Pourquoi s’adresser à nous ? Nous sommes comme vous. Qui vous dit que je ne suis pas athée ? D’ascendance musulmane, mais athée ? Il est indécent que nous soyons enjoints à nous désolidariser.
Dès que j’ai appris ce qui s’était passé, j’ai téléphoné à mon ami François Gouyette, ambassadeur de la France en Tunisie. Je lui ai fait part de ma sympathie. Mais je l’ai fait au nom de mon humanité.
Ça va sans dire que c’est un acte abominable, d’une grande barbarie.
Je peux me mettre en faction, par la plume, par les mots, pour que ces actes soient punis.
Mais j’aurais pu le dire en tant que Corse, en tant que Français, en tant que Tunisien.
Je ne me désolidarise de rien du tout. Nous sommes tous responsables, quelle que soit notre religion : les chrétiens fondamentalistes, les extrémistes juifs, les islamistes radicaux.
Et nous sommes contre ces actes parce que nous sommes humains, pas selon nos confessions. Et encore moins au nom de celles de nos parents, qui ne sont pas les mêmes que les nôtres. Car la religion change. Mon père n’aurait jamais tué quelqu’un, alors même qu’il était extrêmement bigot.
Donc je suis complètement contre cette injonction.
Par ailleurs, je pense qu’il faut enseigner un autre islam, et percevoir un autre islam. Cet islam dont se réclament les terroristes n’est pas le vrai islam. Il ne faut pas essentialiser l’islam. Ne pas le montrer tel qu’il massacre des gens et féconde des tragédies. Il faut transmettre l’admiration de l’islam.
Quand je lis Péguy, Teilhard de Chardin ou Pascal, je suis saisi d’une grande admiration pour le christianisme.
Il faut créer l’admiration des grands textes. Ce n’est pas fait pour l’islam. Et c’est injuste. »